Du figuier à la figure

Texte écrit au fur et à mesure de l’avancée de la peinture le 27 juillet 06.

Levé ce matin avec la tête résolue à peindre, un tableau à faire, des images se bousculent .


Le vieux tronc de figuier rongé, bleui de sulfate de cuivre, comme une vieille tête de mort, avec des trous d’insectes : le cérambyx que j’ai capturé dans une boîte en verre avec un couvercle troué pour qu’il respire. De là, la feuille verte du figuier qui repousse en tiges souples et lisses.

J’utilise la grande toile déjà peinte en partie mais non aboutie depuis 2002, je vais la recouvrir de Gesso, et ça ira.
Je transpire, 36° dans l’atelier ; ça me fait quelque chose de ne pas continuer cette toile ancienne , mais je passe, ce n’est plus l’heure de cela.
La voici voilée de blanc.

Je dessine au fusain, bien charbonné, le vieux tronc du figuier scié, troué par le coléoptère .

Puis un autre vu d’un peu plus loin. Apparition de tiges frêles et de petites feuilles aux lignes graciles et jeunes .

Ah ! le cérambyx est mort ! de chaleur torride. Je voulais le jeter loin du jardin, un oubli fatal pour lui .

Je donne la masse du thorax et de la tête à grands traits de fusain, et je détaille les arêtes vives du thorax avec une mine de charbon plus incisive.


Les anneaux des antennes et les mandibules surtout. Les pattes repliées sous lui sont déjà rigidifiées je ne peux les écarter dans une position de marche. Quelle allure ce cérambyx !

Je m’arrête, je perds quelque chose . Le projet de tout à l’heure s’estompe. Que je ne me perde pas dans les détails du dessin ! En attendant de retrouver le fil, je passe une deuxième couche de Gesso avec un jeu de couleur ocre ou gris ocre. Un jus pour que du liquide sorte la forme que je veux.

Sur quel fond vais-je sortir le vieux tronc ? Que cela sorte de l’anecdote ! Fondre sa forme, la faire surgir du fond ? la dessiner comme gravée au couteau sur une étendue de sombre à l’huile ? au contraire, la partie jeune des nouvelles feuilles peintes légèrement comme une aquarelle mais au dessin net ?
J’ai comme pas assez d’espace dans ce cadre précis, comme s’il me gênait, m’étriquait.
Oublier ce que je viens de dessiner, aller beaucoup plus profond et sortir du regard habituel, entrer dans la matière vive, travailler avec le chiffon et le gros crayon gras, partir vraiment…

Je trace une ébauche du tableau au fusain . Ce que je ne veux pas que ça devienne : un tableau figuratif ou un vieux tronc qui se régénère dans de jeunes feuilles.

Plus loin, une métaphore de sens de cela : l’avènement d’un visage, de corps humain sorti de l’épreuve, une rencontre de l’homme et de la femme, et l’invisible présence de celui qui s’est effacé de tout cela pour faire advenir le vivant… Comment tout cela peut-il sortir ?
Ajouter un cérambyx qui arrive par côté , en amorce.
Dans un effacement central : un couple enlacé et quelques visages ça et là bien jeunes et des visages d’enfants…

Organiser un espace beaucoup cosmique comme aquatique .Donc trouver des jus qui fusionnent et mais laissent distinct aussi. Pour l’heure déclouer la toile du cadre pour la peindre à plat sans la déformer par la pression de l’appui des marqueurs.
Je l’étire au sol la fixant dans les quatre directions avec un scotch noir.
J’attaque le vieux tronc, à l’acrylique, déchiquetant des morceaux de tissus je les mêle à la peinture, d’abord très fluide, puis je dessine au chiffon les éléments qui prennent forme avec des stries des contrastes N/B, des raclures avec la pointe d’un fer, des contours au fusain et au pinceau chargé de noir, travail du couteau pour entailler et griffer ; redressement de telle forme par effacement et reprise du dessin, pour vieillir en matière et faire naître la forme. Stop.

17 h.Je reprends en dessinant au fusain une tige vigoureuse du figuier, et deux bouquets de feuilles avec son fruit.

Remise dans le projet.
Tracé d’une tige souple , gris clair.
La forme du tronc : en haut pas assez déchiqueté. Avec un mélange de gris bleu je reprends au gros pinceau les contours, j’échancre le haut, supprime un moignon, et emplit tout le reste de la toile, comme un espace aérien. Je redessine le motif-une amorce de tige et de jeunes feuilles de saison.

C’est la tête qui m’intéresse : un visage, une présence. De part et d’autre de la jeune tige un bouquet : l’écoute comme des oreilles de feuillage.
Au centre une tige se promène qui engendre 2 bouquets avec 2 figues –des yeux- et un autre descendant comme le nez dans la figure.
Dans une cavité bleutée du tronc, je dessine comme deux lèvres entr’ouvertes : une parole dite.

A gauche, je me sers de petits couples réalisés au préalable pour figurer une danse, avec les visages qui se croisent dans un baiser et la danseuse en robe de figue, rappel des yeux. L’homme dans des tonalités vertes.
L’affinement du dessin me fait exécuter plusieurs modifications du dessin de cette danse : les pieds et les mains de la danseuse plus proches de la forme d’un feuillage.
De même le bouquet central comme un nez, je le transforme, l’intégrant mieux au branchage.
Et qu’ai-je fait du cérambyx ravageur du vieux tronc ?





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